Vient de paraître : Marx Politique
sous la direction de Jean-Numa Ducange et Isabelle Garo
Editions La Dispute, 220 pages, 18 euros
Table des matières :
Introduction, par Jean-Numa Ducange et Isabelle Garo
1. Marx et la forme politique, par Stathis Kouvelakis
2. Capital et classe, mais pas seulement : Marx à propos des sociétés non-occidentales, du nationalisme et de l'ethnicité, par Kevin B. Anderson (traduit par Frédéric Monferrand)
3. Capitalisme et émancipation humaine, par Ellen Meiksins Wood (traduit par Paul Guillibert)
4. Hétérodoxie et critique de l’économie politique, par Guillaume Fondu
5. L’actualité de la théorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale, par Antoine Artous
° ° °
Introduction à Marx Politique
Jean-Numa Ducange et Isabelle Garo
( Cette introduction est mise en ligne avec l’aimable autorisation de l’éditeur )
« Marx politique » : l'expression peut sembler une
évidence, un pléonasme même, au regard des options militantes et théoriques de
Marx lui-même, mais aussi, au regard de l'histoire des 150 dernières années.
Pourtant, la fausse évidence qu'il aurait existé une politique « de »
Marx ou « selon » Marx ne peut que reconduire les idées reçues au
sujet de Marx autant que les stéréotypes concernant la définition même de la ou
du politique.
Elle empêche aussi de s'affronter à ce mélange de défaite globale
et d'acquis partiels, de victoires momentanées et de combats majeurs que
constitue le XXe siècle dans son ensemble pour le mouvement ouvrier
international, se réclamant peu ou prou de Marx. L'impression de « bien
connu » masque surtout la permanence d'une contradiction, qui n'est pas
seulement celle qui traverse le capitalisme contemporain mais aussi celle des
alternatives au capitalisme, aujourd’hui aussi nécessaires qu'ineffectives,
urgentes et toujours différées, appelées par la colère populaire mais
actuellement minoritaires.
C'est pourquoi le titre de cet ouvrage est avant tout une question,
aujourd'hui plus que jamais ouverte et pertinente et qu’explore à sa manière
chacun des chapitres : à nous qui considérons qu’elle est essentielle à la
compréhension théorique du capitalisme et à la lutte politique pour son
abolition, que nous apprend aujourd’hui la pensée de Marx ?
Dans cette introduction, nous partirons de deux constats : il y a
bien une actualité maintenue, sur un mode paradoxal, de ce « Marx
politique » au XXIe siècle, et elle consiste d’abord dans les
éléments de réponse qu’elle peut apporter au problème de la « crise de la
politique », en ces temps où champs de ruine et chantiers sont devenus
difficilement discernables. Plus précisément, il s’agit de questionner à partir
de Marx la crise actuelle des formes et des buts de l'intervention politique en
général, et plus particulièrement des
politiques d'émancipation. Dans cette introduction, nous insisterons
conjointement sur l’actualité de la recherche concernant la pensée politique de
Marx et sur la question démocratique et la nécessaire expansion de
l’intervention politique hors de son cadre prescrit (la démocratie
parlementaire bourgeoise, désormais en cours de dé-démocratisation). Comment
penser aujourd’hui la nécessité de s’appuyer sur ses structures
institutionnelles mais pour les transformer et les déborder, comment interroger
les rôles et les formes des partis et des syndicats, comment concevoir à
nouveau le problème de l'État ? Au-delà des raccourcis et loin des
orthodoxies sclérosées, Marx aide à poser la question de l'intervention
démocratique ainsi élargie sur le terrain économique et social, conçu comme un
tout complexe, où tendances à l'unification et désintégration se combinent et
se contredisent.
C'est en effet précisément cette refonte radicale de la question
politique qui préoccupa Marx de ses premiers textes jusqu'à la critique de
l'économie politique, sous-titre du Capital
qui nomme sa conception de la
théorie comme intervention politique, et réciproquement marque la teneur en
savoir de toute expérience militante réfléchie. C'est sur ce point que cet ouvrage entend rompre avec l'idée que
Marx ne serait politique que dans son activité militante d'une part, et dans
ses textes historiques de conjoncture d'autre part. L'un des objectifs de ce
livre est dès lors de dépasser toutes les sectorisations entre un Marx militant
et un Marx philosophe, économiste, sociologue, historien, etc. dont les œuvres
ou les textes démembrés sont parfois insérés de force dans les cases prédéfinies
des savoirs académiques en vigueur à son époque et à la nôtre. Le propre de
l'intervention marxienne, dès les toutes premières œuvres et jusqu'aux derniers
textes, est de surmonter ces frontières disciplinaires pour envisager tout
autrement la rencontre de la critique théorique et des combats politiques.
On peut considérer que cette redéfinition du travail théorique s'énonce
et se condense dans la redéfinition marxienne de la démocratie, débordant et
subvertissant les institutions établies d'une part, étendant le concept de
politique au champ de la vie sociale toute entière, à la production, au
travail, au temps libre, à la distribution des richesses, à l'éducation, etc.
C'est pourquoi la ressaisie d'ensemble de la pensée de Marx à la lumière de la
politique comme question est aussi la condition pour aborder ce que furent les
tensions au sein de sa réflexion, ses contradictions parfois et les limites
liées à son temps, à distance des mausolées autant que de l'ignorance
méprisante qui continue de prospérer à son sujet. Car ce « Marx
politique », ainsi défini, reste largement méconnu et c'est lui que
s'attachent à saisir, sous des angles très différents, tous les auteurs de ce
volume.
Dans les paragraphes qui suivent, nous nous efforçons de présenter plus
précisément à la fois le contexte de cette publication, ses ambitions ainsi que
les questions abordées par les différents auteurs, avant de revenir à cette
question politique, telle qu'elle se décline chez Marx, à la fois en termes de
démocratie et sur le terrain de la critique de l'économie politique.
Une actualité complexe
Le renouveau des publications de et autour de Marx est manifeste. Éclaté
et multiforme, il ne se résume pas aisément. Après le « grand cauchemar
des années 1980 »[1], la France est un des pays
où le nombre d’ouvrages publiés sur Marx ces dernières années est le plus
important. L'immensité de l'œuvre marxienne, surtout si l’on comptabilise les
manuscrits et les nombreux articles de journaux, autorise un foisonnement
d'interprétations, donnant lieu à des marxismes de nature très diverse, à
« mille marxismes », pour reprendre les termes André Tosel. En
témoigne, pour en rester à la France, la multitude de collections d'ouvrages
s'inscrivant directement dans le sillage de Marx et du marxisme : les
collections « mille marxisme », « mouvement réel » ou
« Actuel Marx confrontation »[2]
– parmi d'autres et sans exclusives – donnent à voir un Marx et des marxismes
diversifiés, ancrés dans des traditions historiques vivantes et des
interprétations multiples.
L'un des objectifs de cet ouvrage est de donner une visibilité à des
travaux qui sont critiques à l'égard des interprétations les plus sommaires et
répandues de Marx. Les textes rassemblés ne visent pas à régler une fois pour
toutes les points litigieux mais elles permettent une mise au point sur
quelques questions essentielles : notamment l’État, la lutte des classes,
le nationalisme, l’émancipation, la méthode de la critique de l’économie
politique, la théorie de la valeur. Dans ce cadre, ce petit ouvrage veut être
une contribution aux recherches marxistes contemporaines et leur diffusion. Par
les choix dont il témoigne, il se présente de fait comme une prise de position
au sein du domaine certes marginal mais toutefois vivant des études marxistes, au
moyen d'une sélection d'un petit nombre de travaux très divers, voire
divergents, mais cependant tous reliés par une certaine idée du marxisme. Le
lecteur le vérifiera par lui-même : ce lien tient moins à des thèses théoriques
partagées qu'à une conception semblable de ce qui lie la recherche à la
pratique, et à l’affirmation du rapport maintenu de la théorie à la politique.
Les chapitres de cet ouvrage relèvent tous de la recherche universitaire la
plus rigoureuse, mais ils s’y distinguent par les enjeux critiques, sociaux,
politiques au sens large, qu'ils recueillent et formulent. Et c'est avant tout
cette originalité-là que nous avons choisi de souligner, contre certaines
tendances présentes à contingenter le marxisme dans le seul monde académique, tablant
sur son innocuité politique.
Car Marx est parfois cité, mentionné, étudié et considéré comme un auteur
de référence parmi d'autres. En ce sens, la démarche scientifique qui guide par
exemple en Allemagne l'édition de référence de la MEGA[3]
indique bien certaines tendances actuelles. Un article du Frankfurter Allgemeine Zeitung l'affirmait sans détour en
1998 : « Dépolitisation, internationalisation, académisme, tels étaient
les trois vœux liés à la poursuite du travail pour la MEGA. Le premier vœu se trouve
exaucé avec le départ de la maison d’édition Dietz Verlag. La philologie perd
son dernier venin, le suivisme partisan. La réalisation du troisième vœu est
garantie grâce au passage à l’Akademie Verlag. Les volumes bleus y figurent
dorénavant à côté des grandes éditions classiques d’Aristote, de Leibniz, de
Wieland, Forster et Aby Warburg – des classiques entre eux »[4].
Ces préoccupations philologiques et scientifiques ne sont cependant pas à
mépriser, dans la mesure où une connaissance précise de textes dans leur
contexte peut permettre une repolitisation de Marx contre des approches
péremptoires et dogmatiques.
Mais il faut y insister : Marx n'a pas écrit des milliers de pages
pour devenir un auteur parmi tant d’autres. La relecture d'un texte jadis canonique
et désormais presque oublié comme la biographie de Karl Marx par Franz Mehring
(publiée en 1918), qui servait jadis d'introduction à l'œuvre de Marx pour de
nombreux militants dans le monde germanophone[5]
– apparaît aujourd’hui décalée et presque surprenante. Si les insuffisances et
raccourcis y sont manifestes – ne serait-ce que parce qu'elle s'appuie sur un
corpus restreint de l'oeuvre marxienne – elle montre aussi, avec une certaine
emphase, que la visée centrale de Marx est l’abolition du capitalisme. Marx a
toujours conçu le travail théorique comme une des modalités de l'action
politique, les idées ayant ce pouvoir bien réel de motiver et d'orienter les
actions des individus, des classes, des organisations, dès lors qu’ils agissent
sur la formation économique et sociale pour la transformer ou la conserver. La
multitude des textes dont il est l'auteur et leur grande diversité montre ce
souci de s'adresser aux individus et groupes susceptibles de mettre en œuvre le
changement social : les brochures adressées à un large public (le Manifeste du parti communiste, Salaires, prix, profit et de nombreux
articles d'intervention politique, publiés dans divers journaux et revues) ne
peuvent être dissociées de son effort de théorisation politique des événements
et notamment des révolutions de son temps (Le
18 Brumaire de Louis Bonaparte, La
guerre civile en France) sans oublier, bien évidemment, la critique de
l'économie politique et la vaste entreprise du Capital.
On peut affirmer que la singularité de ce projet tient précisément au
fait que la politique est coextensive à la théorie. Dès L'Idéologie allemande (1846), d'une façon qui ne sera jamais
reniée par la suite, mais sans cesse affinée et remaniée, Marx et Engels
conçoivent leur travail théorique comme une illustration et une mise en
pratique de leurs découvertes et engagements sur le terrain des idées. D’une
part, il existe une lutte des idées, qui renvoie toujours à des conflits situés
sur le terrain social et économique. D’autre part et surtout, l’analyse de
cette lutte est aussi une intervention d’un type spécifique, qui participe à sa
façon aux combats révolutionnaires, puisqu’il s’agit de s’attaquer aux idées
dominantes, qui sont toujours celles de la classe dominante. Ainsi, il importe
de le rappeler, la « critique de
l'économie politique » marxienne n'a jamais consisté en une simple
description des mécanismes du capitalisme, de ses crises par ondes plus ou
moins rapprochées, pour en déplorer simplement les conséquences désastreuses
pour les populations. L'intervention politique, depuis la Ligue des Bannis aux
premiers pas des partis socialistes et notamment de la social-démocratie
allemande est bien au cœur du travail théorique et politique de Marx. La
GEME (Grande Édition Marx Engels en français, aux Éditions sociales), dont les
deux signataires de cette introduction figurent parmi les animateurs, en
donnera bientôt des aperçus importants et renouvelés, en plus de rééditions et
nouvelles traductions de textes classiques. Cette méconnaissance en France –
que ne parvinrent pas à corriger les anthologies riches mais contestables de
Roger Dangeville[6] – des très nombreuses
contributions de Marx au New York Daily
Tribune, qui complètent de manière substantielle les vues politiques
exposées dans les textes marxiens centrés sur l'histoire française, devrait
bientôt être palliée par ces initiatives[7].
Marxisme
et politique
La question abordée par cet ouvrage ne se limite
pas cependant aux contours de l'oeuvre de Marx et d'Engels. Plus encore, la
continuité entre Marx et ce qu'on nomme aujourd'hui marxisme n'a rien d'évident
: sur ce point comme sur tant d'autres, les ruptures et la filiation se
conjuguent, au cours d'une histoire heurtée et tumultueuse. C'est pourquoi, ce
livre est l’occasion de proposer au lecteur français un nouvel état des lieux,
nécessairement partiel et certes non dépourvu de parti pris, mais s’attachant à
éviter anathèmes et dogmatisme.
Les étapes du marxisme politique sont nombreuses
et on ne peut que les survoler dans le cadre de cette introduction. Les débats
postérieurs à la mort de Marx (1883) puis à celle d'Engels (1895) ont vu se
combiner de multiples façons une tradition théorique aux organisations du
mouvement ouvrier, à travers la IIe puis la IIIe Internationales, et hors d’elles.
La formule célèbre attribuée à Marx et rapportée dans un échange entre Engels
et Eduard Bernstein : « ce qu’il y a de certain, c'est que moi je ne
suis pas marxiste »[8],
ne doit pas prêter à confusion. Sortie de son contexte, il est évidemment
facile de tracer une nette délimitation entre l'œuvre marxienne et ses épigones
ultérieurs qui ont vulgarisé et déformé sa pensée, et ainsi de dissocier
totalement Marx de ses usages politiques. Que les bréviaires abrégés du Capital de la IIe Internationale aient
peu à avoir avec la densité conceptuelle et analytique de l'œuvre originale de
Marx ne fait aucun doute. Que les crimes du stalinisme aient pu être justifiés
à l’aide de quelques citations de Marx est un fait qui relève en réalité de
bien d'autres facteurs historiques que de l’histoire du marxisme : nombre
d’historiens l’ont montré, à distance des approches longtemps dominantes
typiques de la période de la guerre froide. Au cœur de cette histoire complexe,
de multiples traditions marxistes furent oubliées ou méprisées, dont il reste à
rendre compte. A cet égard, la démarche proposée jadis par l'historien Georges
Haupt dans un article important, « De Marx au marxisme »[9],
reste d'un grand intérêt : en étudiant minutieusement l'apparition des
termes « marxistes » et « marxisme » dans le cadre de la
social-démocratie allemande dominée théoriquement juste après la mort de Marx
par Engels et Karl Kautsky, Haupt proposait de comprendre comment se construit
à différents niveaux une référence politique au marxisme, effective depuis
certaines pratiques militantes à la base jusqu'aux revues théoriques de haut
niveau. Quoi qu'il en soit, au cours de cette histoire, le marxisme n'a ainsi
jamais cessé d'être politique, mais il le fut de façon extraordinairement
diverse : traversé de discussions savantes, de polémiques, d'affrontements
violents parfois, d'alliances diverses avec le mouvement ouvrier en ses
multiples composantes, on peut se risquer à affirmer qu'il fut toujours une
pensée en situation, même s'il ne fut pas toujours, loin de là, une pensée de
la conjoncture.
On peut en dire autant, finalement, des marxismes
qui se développèrent par la suite, notamment au tournant des années 1960, dans
une situation, bien différente, de glaciation à l'Est et de crise des partis
communistes européens, puis ces dernières décennies, dans le cadre de la crise
économique et sociale et de l’assaut des politiques néolibérales. Des travaux
pionniers de Perry Anderson sur le « marxisme occidental »[10]
et son interrogation sur la dissociation entre intellectuels et dirigeants
politiques – jadis selon lui « fusionnés » dans des figures comme
Gramsci et Lénine – jusqu’aux stimulantes réflexions récentes de Marco Di
Maggio sur le statut des discussions théoriques en rapport avec les orientations
politiques du PCF dans les années 1960-1970[11],
les enquêtes sur le marxisme politique se sont multipliées. Il est bien sûr
impossible, à l'échelle de cette introduction, de retracer toute cette
histoire, et nous ne pouvons que renvoyer à d’excellents travaux existants sur
ce sujet. On mentionnera quelques uns seulement de ces travaux : l’analyse
par André Tosel de l’histoire du marxisme occidental du XXe siècle[12],
l’ouvrage collectif dirigé par Jacques Bidet et Stathis Kouvélakis[13]
explorant les marxismes du passé mais aussi les secteurs actifs de la recherche
dans ce domaine, l’étude de Michael Scott Christofferson[14]
portant sur les débats politiques et idéologiques français des années 1970, le
bilan de la place réservée à Marx aujourd’hui en France par Lucien Sève[15],
la présentation par Razmig Keucheyan[16]
de la galaxie des pensées critiques contemporaines, les recherches de Perry
Anderson sur les relations entre production théorique et séquences historiques
du capitalisme[17]. Ainsi, si le marxisme
est toujours politique, le mot même de « politique » ne prend sens
que dans un contexte historique précis, qui confère à la théorie non seulement
son allure propre mais aussi ses effets et ses fonctions, ses limites et ses
difficultés.
A cet égard, il est frappant de constater, dans
le regain des publications actuelles sur l'histoire de la réception de Marx,
que cette contextualisation historico-politique demeure rare. Mentionnons par
exemple l’ouvrage publié en allemand de Jan Hoff, Marx Global, qui propose une stimulante exposition des multiples
débats engendrés par la lecture du Capital
à l'échelle mondiale[18].
Riche et dense, l'ouvrage est très instructif mais, à l’instar de nombreuses
autres études récentes sur Marx, il reste critiquable d’un point de vue
méthodologique et politique, dans la mesure où le contexte d'élaboration de ces
interprétations et controverses, et leur lien avec la conjoncture politique
sont rarement mentionnés. De même, la façon dont Jan Hoff a présenté un
panorama des publications de et sur Marx en Allemagne dans une revue américaine
est révélatrice de la méthode proposée[19]
: bien que le contexte politique soit évoqué au début de l’article, l’ensemble
reste essentiellement confiné à la production d’auteurs universitaires. Ainsi,
ne sont pas étudiés et interrogés l’importance de la référence à Marx et aux
marxismes dans les organisations de gauche, syndicales et politiques ou même
seulement dans les sciences sociales, alors même par exemple que l'Allemagne
connaît actuellement des expériences intéressantes de groupes de lectures de
Marx au sein de Die Linke notamment,
poursuivant en cela une longue tradition d'éducation populaire portées par les
organisations se réclamant du marxisme.
La crise
selon et dans le marxisme
Ces diverses publications récentes révèlent une
nouvelle donne qui fournit le contexte immédiat à de cet ouvrage et dont il
nous faut partir. Elle correspond à la période de crise puis de disparition de
l'URSS et des pays dits socialistes, à la fin de ce « court vingtième siècle »,
selon l’expression d’Eric Hobsbawm. Elle correspond également à
l'approfondissement constant d'une crise majeure du capitalisme, qui de
nouveau, depuis quelques années, suscite la recherche d'alternatives globales.
Si bien que cette nouvelle donne se présente aussi comme la crise sans cesse
approfondie de ces mêmes alternatives, comme une perte de repères politiques et
un scepticisme populaire croissant quant aux possibilités de dépassement d'un
mode de production devenu toujours plus violemment destructeur et hégémonique.
L’onde de choc persiste donc aujourd'hui, qui
voit se perpétuer la crise de l'ensemble des organisations issues du mouvement
ouvrier, le recentrage libéral de la social-démocratie achevant de déstabiliser
« la gauche » au lieu d'ouvrir un espace élargi à ses composantes
radicales. Il faut ajouter qu'à cette décomposition des structures, des
organisations et des projets du mouvement ouvrier, se combinent, sous la poigne
de fer du néolibéralisme partout à la manœuvre, l'explosion mondiale des
inégalités et l’installation de formes renouvelées d'oppression et
d'exploitation. Sous la domination états-unienne fragilisée mais pugnace, se
développent les luttes pour l'hégémonie militaire, politique et commerciale.
L'extension des conflits militarisés déstabilise des régions entières et est
instrumentalisée comme autant d’occasions à saisir par les institutions
néolibérales, faisant du chaos une stratégie. La montée de formes ethnicisées,
culturalisées et confessionnalisées des luttes de classes les rendent
méconnaissables, aussi peu lisibles pour leurs
analystes que pour leurs acteurs mêmes.
Cependant, face à ces conflits du XXIe
siècle, à la fois dépolitisés et exacerbés, les forces d'émancipation
demeurent, voire se développent, et la protestation fermente partout dans le
monde. Elles trouvent ici ou là, et en particulier sur le continent
sud-américain, les occasions d'expériences progressistes, contrairement aux
pronostics de la « fin de l'histoire ». Même à l'échelle européenne,
avec des variantes dans le temps et dans l'espace, et offrant des résultats
temporaires et toujours fragiles, une « gauche radicale »[20]
existe, alors même que toute recomposition politique au début des années 1990
paraissait vouée inexorablement à l'échec, et condamnée à suivre le destin de
l'Union soviétique. Néanmoins les formes et les forces politiques
anticapitalistes restent en difficulté, souvent marginalisées et largement
impuissantes.
Bref, l'alternative et ses formes concrètes, mais
surtout ses forces motrices, restent à reconstruire. Une telle situation
présente un double défi pour le marxisme, sur son versant politique et
théorique. Il s'agit à la fois de produire une analyse ajustée de la phase
actuelle du capitalisme mondialisé et financiarisé, dans sa continuité et ses
différences avec les formes passées de ce mode de production. La puissance des
analyses proposées ces dernières années par David Harvey par exemple, ou par
Mike Davis, mais aussi par Giovanni Arrighi ou Robert Brenner[21],
pour ne citer que ces noms de la recherche internationale, jouent un grand rôle
dans le regain d'intérêt actuel pour le marxisme, aussi circonscrit soit-il.
Peu d’analyses à gauche par ailleurs présentent une telle puissance explicative
en même temps qu’une attention aux singularités et une portée politique
indéniable. Mais le travail reste considérable pour continuer à produire une
théorisation d'ensemble de notre présent mutant, ouverte mais cohérente, et qui
sache intégrer toutes les dimensions que nous venons de signaler. Si nombre de
travaux de grande qualité ont été publiés au cours des dernières années, il
importe de relancer la discussion non seulement savante mais aussi politique
autour de telles analyses, sans craindre la confrontation ni la controverse.
Le deuxième défi est la conséquence directe de
cette dernière remarque : il y a urgence à rapprocher l'analyse critique et la
construction de forces d'émancipation populaires, s'armant d'une culture
théorique qui s'alimente à son tour d'expériences politiques au présent, de
leurs réussites comme de leurs limites et de leurs échecs, afin d'opposer une
autre voie à la catastrophe sociale et environnementale qui se profile. Il
s'agit de rénover l’alliance entre réflexion théorique et activité politique,
sans rapport de subordination, et sans que cette division du travail ne
stérilise la recherche ni n'aveugle l'initiative politique. De ce point de vue,
les réflexions politiques fondées sur les expériences historiques du XIXe
et XXe siècles demeurent nécessaires mais elles restent pour l'heure
trop embryonnaires, même si quelques travaux riches de sens sont à signaler.
Quant au présent, il faut souligner la réflexion originale d'un marxiste
novateur qui est aussi un militant et un dirigeant politique bolivien, Alvaro
Garcia Linera, dont la culture théorique et politique s'allie à un engagement
continu au sommet d'un État en lutte contre l'hégémonie américaine et porteur
d'alternatives, certes circonscrites et limitées par un contexte continental
particulièrement difficile[22].
Exception ? Alvaro Garcia Linera montre en tout cas qu'il demeure possible
d'être un acteur politique de premier plan qui se soucie de nourrir son action
par une réflexion théorique issue du marxisme.
Sur ce plan, il serait certes difficile de
multiplier les noms, même si d’autres figures de la gauche radicale européenne
peuvent se rapprocher d'un tel profil, notamment dans un pays comme la Grèce où
la dynamique autour du groupe Syriza est incontestable. Sans se situer à
proprement parler sur le terrain de l’action politique et de la décision
stratégique, c'est bien dans une telle perspective d'intervention critique que
se situent – de façons fort différentes –
les textes rassemblés ici, y compris lorsqu'ils traitent de questions
historiques qui peuvent sembler lointaines, mais dont l'examen est nécessaire
pour comprendre l'émergence de nouvelles approches du capitalisme contemporain,
solidaires des possibilités réelles de son abolition-dépassement. D'une
certaine manière, il s'agit de renouer, dans un contexte différent et avec des
dispositifs intellectuels renouvelés, avec l'étude des
« transitions » qui firent les beaux jours des analyses marxistes les
plus subtiles des années 1960-1970[23]
et qui tentaient de fournir un cadre explicatif théorique aux changements des
sociétés, sans délaisser les études empiriques nécessaires à la compréhension
des grandes ruptures historiques.
Le
contexte immédiat
Ce cadre large étant esquissé, il nous semble
important de préciser notre projet en le replaçant également dans le contexte
français et plus précisément dans le cadre des activités théoriques et
militantes actuelles, qui reflètent à leur façon cette situation d’ensemble.
Coordinateurs de ce volume, nous sommes tous deux membres de l'équipe
d'animation du séminaire « Marxismes aux XXIe siècle »[24]
constituée d'une dizaine de personnes participant à la recherche marxiste et
préoccupées, sur des modes très divers, par ses enjeux politiques. Ce séminaire
est désormais partenaire du groupe « Lectures de Marx » de l'École
Normale Supérieure de la rue d'Ulm, davantage centré sur l'analyse savante des
textes de Marx et d'Engels. Nous avons également pour partenaires les
structures parentes et très différentes que sont Espaces Marx et la Fondation
Gabriel Péri, dont nous animons ponctuellement les secteurs de recherche.
Si les textes que rassemble ce livre ne sont pas
directement issus de ce séminaire « Marxismes au 21e
siècle », ils correspondent à son esprit et s'ouvrent plus encore sur la
dimension internationale de la recherche marxiste, en particulier sur sa
dimension anglo-saxonne, devenue centrale et décisive depuis quelques années,
même si sa portée politique ne cesse pas d'interroger au regard de son faible
enracinement social, comparée notamment à l'Europe continentale ou à l'Amérique
Latine et à l'Asie. Néanmoins, ces productions de haute qualité permettent de
faire exister à l'échelle internationale un espace de discussion autour du
marxisme, d’une vitalité croissante. Ainsi, il faut le souligner, l'esprit de
cet ouvrage comme celui du séminaire « Marxismes au 21e
siècle » répondent aux critères universitaires de la recherche, mais sans
perdre de vue la dimension critique ni les enjeux politiques qui sont ceux du
marxisme contemporain auquel nous entendons contribuer. Rigueur quant à
l'utilisation des textes et débat politique ne nous paraissent pas
incompatibles, et ce en dépit des nombreux exemples d'instrumentalisations
auquel le marxisme a pu donner lieu. A cette première caractéristique de la
pensée de Marx et d'Engels eux-mêmes, s’ajoutent deux autres dimensions,
qu’entend refléter ce volume : sa dimension internationale donc et son
souci de s'adresser à un public large, non spécialisé, militant ou non, mais
dans tous les cas préoccupé par des approches théoriques liées à un horizon
pratique, celui du dépassement-abolition du capitalisme.
Aux caractéristiques déjà mentionnés de ce
marxisme, s’ajoute un quatrième trait : sa dimension polémique qui n'évite
aucune controverse, mais aussi les oppositions franches et les luttes qui le
traversent, aujourd'hui encore, ce qui est au fond une bonne nouvelle, mais qui
exige l’énoncé d’un parti pris clair. A cet égard aussi, la théorie marxiste de
la lutte des classes se révèle ici conforme à sa réalité même et éclairante, à
distance de tout marxisme incapable de s’appliquer à lui-même ses propres
catégories dialectiques. Ce secteur de la recherche est donc aussi, par ses
acteurs, par son ancrage institutionnel ou ses distances préservées, un secteur
de la réalité sociale, traversé par ses contradictions et ses conflits, que
l'on ne peut sous-estimer.
Le refus d'un marxisme fait de citations célèbres
(la « citomanie » décontextualisée ayant affecté de larges pans des
mouvements sociaux et ouvriers pendant longtemps) et de ce qui relève de ce
qu'on a appelé l' « orthodoxie » constitue l’un des motifs du
rassemblement de l'équipe de ce séminaire. Outre son caractère répétitif et
scolaire, et ses options politiques sous-jacentes, ce marxisme a pour thèse
fondatrice ce qui fut pendant longtemps le récit central de la marxologie
soviétique, diffusée ensuite bien au-delà de ses frontières. Ce grand récit
énonce la conversion de Marx au communisme à partir d'une évolution strictement
théorique, qui l'aurait conduit de ses premières amours jeunes-hégéliennes à la
découverte définitive des lois du capitalisme et à une science de la révolution
rigoureusement déductive, alors même que s’y trouvaient rétroprojetées des
interprétations ultérieures, dont les thèses du diamat de facture stalinienne[25].
Si, dans certaines circonstances la diffusion de ce diamat a pu connaître une certaine efficacité auprès de larges
secteurs politisés et contribuer à la diffusion d'un mode de raisonnement
militant ouvrant sur une lecture du monde social en terme de luttes de classes
– phénomène que l'on ne peut balayer d'un revers de main sans une analyse
historique minutieuse et distanciée – il ne faut pas en minimiser les dégâts.
Et il convient d’insister sur le fait que sa reprise pure et simple, sous
couvert de quelques avatars, est une démarche stérile, parfaitement étrangère à
celle de Marx.
A distance de ces résurgences et caricatures, une
conception datée du travail théorique de Marx, sur la base d’un état antérieur
des connaissances et des publications, a pu inspirer malgré tout des travaux
parfois du plus haut intérêt. C’est le cas par exemple à de la monumentale
biographie inachevée de Marx et Engels d'Auguste Cornu[26],
lecture téléologique s'il en est de la trajectoire de Marx, qui réunit une mine
d’informations historiques inégalée en dépit de ses faiblesses. Il n’en demeure
pas moins que la conception du passage au communisme en tant que point
d’aboutissement nécessaire d’une odyssée théorique et historique telle que
l'envisageait Cornu et de nombreux autres chercheurs est désormais irrecevable
: des travaux récents, insistants sur l'évolution de la pensée des deux auteurs
tout au long de leur vie et au contact du réel, à travers l’activité militante,
mettent en lumière les problèmes et les éventuelles contradictions qu'on peut y
repérer et qui sont d’ailleurs le moteur même de leur recherche.
Cette conception linéaire jadis à la base de
nombreux manuels et synthèses va de pair avec une conception périmée de la
politique. Dès lors que la politique se trouve pensée comme conséquence du
raisonnement, et par là même est envisagée comme un savoir d’expert
auto-proclamés qui sont aussi des dirigeants géniaux, elle abolit le débat
autant que sa nature historiquement
inventive, sa portée démocratique au sens fort, sa définition comme
intervention dans des circonstances qui en réorientent le cours tout en étant
en partie déterminé par lui. Il nous semble qu’en dépit de l'optimisme qui
pouvait prévaloir au début des années 2000, lorsque de Jacques Bidet et Stathis
Kouvélakis affirmaient dans leur introduction au Dictionnaire Marx contemporain que « toute idée d'orthodoxie a
volé en éclat »[27],
on constate depuis lors que des résurgences apparaissent de ces versions
doctrinaires. Elles résultent notamment de crispations identitaires, dans le
contexte de la décomposition avancée des vieilles organisations issues du
mouvement ouvrier, et se manifestent par des (n)ostalgies sommaires, sans
contenu théorique novateur, dont la démarche rétrécit toujours plus la surface
même du politique.
Un
marxisme ouvert mais combattif
Aux antipodes de telles orthodoxies régressives
et mortifères, et tout autant d’un antimarxisme bien moins résiduel et toujours
dominant, nous voulons insister sur deux questions abordées par Marx de façon
continue, au point qu'on peut les juger coextensives à son œuvre tout entière :
il s'agit de la question de la démocratie et de la question économique qui, à
des titres divers, traversent les différents chapitres de ce livre.
La première nous situe sur le terrain de
controverses encore vibrantes, héritées du retournement idéologique des
décennies 1970-1990, que Michael Scott Christofferson a mis en lumière dans son
ouvrage, déjà cité, Les intellectuels
contre la gauche, mais aussi liées aux échecs des mouvements révolutionnaires
du XXe siècle. D'un côté Marx fut accusé d'avoir froidement dénoncé
les Droits de l'homme issus de la révolution bourgeoise de 1789, et cela dès
son texte de jeunesse La question juive,
dont le titre alimenta même les accusations d'antisémitisme. De l'autre, il fut
considéré comme le responsable de ce qui se fit en son nom, dans les pays dits
« socialistes », dont l'histoire fut-elle même simplifiée. Leurs
contradictions sociales et politiques, une fois réduites à la simple négation
totalitaire des droits de l'homme et à un glacis idéologique hors-sol,
conduisirent à une représentation absurde de sociétés sans luttes et sans
histoire. Cette focalisation sur le droit et sur l’Etat ainsi conçus inspira en
retour des lectures trouvant dans l'œuvre de Marx les thèses qu'on y cherchait,
sans prêter attention à une critique de l'Etat et de la démocratie bien plus
complexe et sans cesse remise sur le métier, au gré de l’actualité du temps et
de son analyse.
En effet, cette critique n'est jamais une
condamnation, bien au contraire, puisque Marx et Engels ne cessent de
d’affirmer parallèlement la nécessité pour le mouvement ouvrier de s'inscrire
dans les institutions, de faire avancer tous les acquis de la démocratie,
fût-elle étroitement bourgeoise, de participer aux élections, de se battre pour
un droit du travail plus protecteur[28],
tout en affirmant les limites de tels objectifs dès lors qu'ils ne s'articulent
pas à un combat politique global, c'est-à-dire résolument communiste. De ce
point de vue, Marx s’est révélé un extraordinaire analyste des événements
politiques de son temps, parfois au jour le jour, en offrant notamment à la
postérité une « histoire immédiate » des révolutions de 1848 et du
coup d'État du 18 brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte. Loin de rejeter tous
les courants politiques bourgeois dans le même sac, il analyse les différentes
sensibilités en présence et tente d’expliquer les mécanismes à l'?uvre dans les
batailles idéologiques et politiques de son temps, même lorsque certaines d'entre
elles n’ont aucun lien avec le mouvement ouvrier et socialiste. L'étude des
différentes fractions des classes dominantes et la complexité des
contradictions qui les traversent est un précieux legs du Marx politique, trop
rarement souligné.
L’analyse de la Commune de Paris est un texte
majeur, de ce point de vue, qui combine l’examen historique et la réflexion
prospective, en même temps que l’intervention militante. En effet, après avoir
été d’abord circonspect à l’égard de la Commune de 1871, Marx a salué son
immense portée politique, en soulignant notamment ses aspects démocratiques les
plus radicaux, dont la portée et la postérité sont décisives jusqu'à
aujourd'hui pour ceux qui se situent dans la perspective d'une démocratie
radicale et de la défense de la souveraineté populaire, que l'idée de
« République sociale » a durablement incarné dans le mouvement
ouvrier en France, thématiques auxquelles Marx et Engels furent sensibles. Mais
il faut aussi lire et relire des textes bien moins connus, portant sur les
question diplomatiques et la guerre, dont les rééditions récentes[29]
montrent que Marx, et plus encore Engels il est vrai, portaient un grand
intérêt à ces questions relevant de ce qu’on appelle aujourd’hui la
« géopolitique ». Autant de textes jamais ou rarement lus, au mieux
cités, et dont la méconnaissance a pu appuyer une lecture anarchisante de
l’œuvre de Marx, celle de Maximilien Rubel par exemple, qui ne résiste en aucun
cas à une analyse sérieuse des textes et du contexte dans lequel Marx évolua.
Une telle lecture rend elle aussi schématique et sommaire une pensée politique
bien plus subtile que la seule dénonciation de la « démocratie
bourgeoise ». Cette dernière est en réalité considérée par Marx en son
temps pour ce qu'elle en train de devenir : un lieu de plus en plus complexe de
l'intervention politique. C’est sans doute sur ce point – par-delà la question
de la fonction de l'État et de la définition de la démocratie – qu’on rencontre
une des divergences les plus importantes avec le courant anarchiste de son
temps.
C’est pourquoi il est frappant que la figure d’un
Marx anti-démocrate invétéré ait la vie dure. On la retrouve sous la plume
d’auteurs très différents, tant du point de vue du sérieux que des visées
politiques. Ils sont nombreux et quelques exemples suffiront, qui vont des
années 1970 à aujourd’hui. Ainsi, André Glucksmann qui, à la fin les années
1970, est l’une des figures de proue des « nouveaux philosophes »,
défend-il l’idée que la pensée de Marx est l’authentique matrice du Goulag[30],
en raison du projet d’État totalitaire qu’elle porte en son sein. Mais on
rencontre chez des auteurs réputés plus académiques comme Cornélius Castoriadis[31],
François Furet[32] ou plus récemment Pierre
Rosanvallon[33], l’affirmation, sans
doute moins virulente mais toute aussi péremptoire, d’un Marx
« antipolitique », profondément antidémocrate par refus de penser les
médiations sociales et politiques au sein d’une société communiste qui censée
se définir par leur suppression même.
Si la thématique de la « vraie
démocratie »[34]
est chez Marx une constante, des écrits de jeunesse aux textes de la maturité,
c’est précisément parce qu’il ne renvoie jamais les formes institutionnelles du
côté des apparences mais les pense comme des médiations actives et nécessaires,
qui sont les formes mêmes de l’intervention individuelle et collective. Les
textes qui composent ce volume s'attaquent tous, à leur façon, au cliché d’une
antipolitique marxienne, qui barre la perspective d'une culture marxiste digne
de ce nom, apte à irriguer la gauche radicale en lui fournissant des concepts
autant que des questions ouvertes. Sur ce plan, il faut y insister de nouveau,
la rigueur philologique n'est pas le contraire d'une lecture engagée :
elle la rend possible. Aussi ne s'agit-il nullement dans notre démarche de
renvoyer au « ciel pur des idées » certaines démarches philologiques
puisque la grande connaissance des textes et leur lecture peut permettre de
rendre intelligible, insistons encore sur ce point, les éléments d'une intervention
politique constante, à partir d'une analyse rigoureuse du passé.
La
critique de l’économie politique
La deuxième question conduisant à des contresens
analogues, qui interdisent la compréhension d’ensemble du projet marxien, est
ce qu'on peut nommer improprement la question économique. Car Marx parle pour
sa part de « critique de l'économie politique », non seulement parce
qu'il prend en compte la dimension par essence politique des travaux
économiques qu'il discute mais surtout parce que son analyse économique est
elle aussi tout entière inscrite dans la perspective pratique de dépassement du
capitalisme. Cette perspective ne disparaît jamais, même des textes en
apparence les plus « techniques ». Or, il est devenu aujourd’hui
assez commun de saluer en Marx un bon analyste des crises, parce qu'elles
posent problème à la tradition classique et néoclassique, mais utopiste
déplorable, prêchant un dépassement du capitalisme qui n'a pas lieu d'être. Une
telle option est par exemple celle du livre de Jacques Attali[35]
où Marx apparaît comme le prophète génial de la mondialisation capitaliste dès
les années 1840, mais c’est aussi le cas de nombre de revues et magazines,
revenant à échéance régulière sur l'actualité d'un Marx rendu inoffensif,
économiste digne d’intérêt mais piètre penseur politique.
On rencontre cette thèse dans bien des manuels et
des histoires de la pensée économique, largement diffusés. C’est le cas, par
exemple, du livre de Karl Pribram, qui reste un classique des études d'histoire
de la pensée économique, Les fondements
de la pensée économique[36].
On y lit à propos de Marx des énoncés qui continuent d'avoir valeur de vérité
incontestée pour les étudiants en économie et qui dissocient l'analyse
économique des thèses politiques et philosophiques qui en sont pourtant
inséparables. Une fois caricaturés, les énoncés non économiques peuvent être
évincés : « selon les méthodes du raisonnement dialectique, un ordre
téléologique est sous-jacent au processus d'évolution, qui dirige le développement
de la société vers un objectif prédéterminé. La tâche essentielle de la
recherche scientifique est de découvrir les stades par lesquels doit passer ce
processus »[37]. Dès lors, il n’est
question ni de contester ni d’analyser « le fait » que « divers
interprètes de la doctrine marxiste ont été embarrassés par la question de
savoir comment réconcilier les aspects révolutionnaires radicaux de cette
doctrine avec ses traits déterministes »[38].
On trouve une analyse semblable dans bien des commentaires contemporains et on
pourrait multiplier les exemples. Mais il ne s’agit pas de faire ici la liste
des contresens les plus contestables et les plus répandus, il s'agit de
souligner les convergences surprenantes entre des lectures profondément
différentes, mais qui attribuent toutes à la pensée de Marx les
caractéristiques d'une émulsion mal liée, additionnant la philosophie
allemande, l'économie politique anglaise et le socialisme français. Cette
tripartition eut certes son heure de gloire et son efficacité politique permettant
parfois d'introduire à une lecture plus approfondie de Marx et des marxistes
dans un sens politique. Mais sa logique systématique et cloisonnante a aussi
souvent empêché des renouvellements de perspective sur à partir de Marx, en
renvoyant systématiquement le lecteur ou l'interprète à une des
« sources » supposées fixées par avance. L'origine de ce démembrement est à chercher
du côté de la thèse des « trois sources » du marxisme », énoncée
par Karl Kautsky dans la social-démocratie allemande[39]
et reprise par Lénine[40]
puis par une pléiade de commentateurs et de vulgarisateurs la simplifiant
encore, fidèles au diamat, et rendant presque impossible toute lecture
dissonante.
La vraie question que soulèvent de telles
lectures se situe en réalité sur le terrain de ce qu'on choisit ici de nommer
« politique », s'agissant tant de l'?uvre de Marx que des lectures et
des interprétations qui sont proposées dans les pages qui suivent. Dans son
livre consacré au marxisme du XXe siècle, André Tosel souligne que
l'orthodoxie issue de la IIIe Internationale, convaincue d'incarner la
réalisation même de la Raison dans des institutions objectives, a ouvert
« un front interne permanent de lutte à côté du front extérieur »[41],
luttant contre toute élaboration théorique originale d'une pensée marxiste bien
trop critique à ses yeux. Le « Marxisme » s'est ainsi, dans certains
contextes, longtemps et avant tout conjugué au singulier, devenant doctrine
figée et dépositaire d'une légitimité théorique et politique, outil à excommunier
ou à minorer durablement des pensées marxistes alternatives, inventives et
originales comme celle d'Antonio Gramsci. Ce dernier fut très tardivement
discuté et jamais véritablement intégré au le marxisme français[42],
alors que son ?uvre est d'une importance capitale comme le prouve le rôle que
joue depuis quelques années sa redécouverte dans le regain d'intérêt pour le
marxisme[43].
En vertu de ce fragile mais réel regain
d’intérêt, notre volonté, en constituant ce volume, est de réactiver la
dimension politique de l'?uvre de Marx (laissons ici de côté Engels, dont
l’apport propre exigerait un travail à part entière, même si cette dissociation
est en partie artificielle) implique qu'on s'éloigne de toute
instrumentalisation politique étroite. Cet obstacle est le plus simple à
identifier et à contourner. Mais surtout, et de façon plus complexe, il s'agit
de prendre au sérieux le caractère consubstantiel, indissociable, chez Marx
lui-même, d'options politiques qui conduisent l'analyse et d'élaborations
théoriques qui visent la fin du capitalisme. Cette politique-là, même si elle
reste à définir et à redéfinir, n'a pas vieilli : elle oriente les travaux
présentés ici, selon des axes sensiblement. Si aucun point de vue politique
commun n’est à proprement parler défendu par les auteur-e-s, tou-te-s
illustrent cette attention à une politique qui n'est pas autre chose que cette
fameuse « critique de l'économie politique », toute l'œuvre de Marx
donc, incluant à la fois son développement conceptuel mais aussi ses évolutions,
ses bougés, ses contradictions. Au lieu que ces contradictions soient pointées
comme des erreurs logiques de Marx, des incohérences non vues ou volontairement
tues, elles apparaissent co-extensives aux contradictions réelles, celle de la
politique elle-même, au sens où elle inclut son moment théorique qui en retour
l'englobe. Une telle figure dialectique dessine non une fermeture de la
doctrine sur elle-même, mais une ouverture sur ses incessantes rectifications,
une dynamique de relance permanente à partir des difficultés rencontrées et des
échecs subits.
Une
politique à venir ?
Il nous semble que le souci de la dimension
« politique » du marxisme ne saurait oublier son passé, ses effets
historiques si divers, les échecs mais aussi les luttes mémorables, héroïques,
les effets émancipateurs et les retombées du mouvement ouvrier désormais marqué
par les défaites accumulées, au point d’oublier parfois les victoires passées
et les perspectives à venir. Puisque nous sommes nous-mêmes les produits de cette
histoire, il reste à penser dialectiquement le rapport de la théorie à
l'histoire réelle et réciproquement. Ou, pour le dire autrement, il s’agit de
faire agir le marxisme sur lui-même, de développer une analyse critique et
tranchante, combinant la mise en perspective historique et l'intervention
théorique à des perspectives pratiques émancipatrices et anticapitalistes,
maintenues et rénovées. Il s'agit d'une tâche à venir bien entendu. A cet
égard, le diagnostic énoncé par Perry Anderson, à la fin des années 1970 dans
son ouvrage, déjà cité, Sur le marxisme
occidental, est sans doute en partie à revoir. Aux réserves déjà formulées
quant à une distinction tranchée du marxisme occidental marqué par la défaite
et par la rupture du lien entre théorie et pratique qui le caractériserait par
ailleurs, selon Perry Anderson, s'ajoute une situation nouvelle, qui n'est
d'ailleurs pas une sortie de crise du marxisme mais une version nouvelle de
cette dernière : dans la situation de crise profonde et structurelle du
capitalisme contemporain, le marxisme peut retrouver et surtout recréer
l'espace de son essor propre, à la condition expresse qu'il puisse et sache se
relier aux luttes sociales, aux recherches d'alternatives politiques, aux
recompositions organisationnelles du mouvement ouvrier.
Marx pensait la construction du communisme à la
fois comme le résultat des contradictions immanentes du capitalisme, mais aussi
comme le plus gigantesque effort historique et politique de maîtrise consciente
des forces productives et de réorganisation des rapports sociaux : aucun
mode de production ne fut jamais, jusqu'à présent, le résultat d’une intention
collective et d’une organisation rationnelle. Une telle réorganisation
communiste de la vie sociale ne peut être abstraitement conçue, mais elle ne
pourra qu’être sans cesse corrigée au feu de son devenir et selon des
procédures démocratiques de décision. Nous mesurons mieux que jamais la
justesse d'un tel propos et la possibilité bien réelle de manquer cette
tentative, ou même de ne jamais l'entreprendre. Il faut même avouer que nombre
de constats plaident en faveur de cette dernière hypothèse. Décidément, le
marxisme politique d'aujourd'hui ne saurait être téléologique, tant il est
continûment confronté à ses adversaires mais surtout à son impuissance
présente. Ce volume voudrait contribuer à réancrer la critique de l'économie
politique dans des perspectives transformatrices concrètes, à en souligner la
possibilité réelle du moins, préalable nécessaire à une réactivation dont nous
n'avons pas idée pour le moment, tant semble hypothétique le retour d'un débat
large sur ces questions, sur fond de culture politique populaire. De ce point
de vue, la dépolitisation de Marx dans les années 1990 a eu des effets
contradictoires : si elle a eu tendance à faire de Marx un auteur
« comme un autre », la poursuite de la publication scientifique de
ses œuvres complètes en langue originale a permis néanmoins de lire et
comprendre un Marx strictement contextualisé et entier, susceptible d'être un
précieux outil pour les combats émancipateurs de l'avenir.
Si un marxisme purement universitaire risque en
effet de rester circonscrit à quelques colloques réservés et d'audience limitée
– de telles initiatives important et restant susceptibles d’élargissement –, on
constate plutôt en France un regain d'intérêt dont les bases sont
profondément politiques. Ce renouveau reste tâtonnant, limité et franchement
marginal, mais n’en suscite pas moins – et c'est une preuve de sa dimension
politique – haines et mépris, hostilités feutrées ou plus ouvertes. De plus, le
fait, qu’il reste traversé de clivages vifs révèle ce caractère politique
maintenu au sens large du terme « politique ». Que la discussion
franche, en lieu et place du silence hostile, soit une chose importante, qu’il
esquisse une politique du marxisme en tant que prélude à un marxisme politique,
tel est le pari de ce livre. Les textes qui suivent en fournissent,
pensons-nous, la preuve.
Le texte « Marx et la forme politique »
qui ouvre le volume est rédigé par Stathis Kouvélakis. Il procède à une lecture
serrée des textes de Marx où s'élaborent une théorie de la politique et une
pensée de la transition et de l'État, à l’occasion des deux révolutions les
plus marquantes du XIXe
siècle, en 1848 et en 1871. Il souligne ainsi combien Marx fut un « quarante-huitard »
d'un type particulier, pour qui visée stratégique et formes politiques
sont des préoccupations permanentes.
Dans le deuxième chapitre, « Capital et
classe, mais pas seulement : Marx à propos des sociétés non-occidentales,
du nationalisme et de l'ethnicité », traduit par Frédéric Monferrand,
Kevin Anderson reprend quant à lui certaines de ses analyses développées dans
son ouvrage important, Marx at the
margins[44]. Il montre, à
partir d'une lecture de nombreux textes de Marx – des plus célèbres aux
manuscrits les moins consultés – l'évolution progressive de Marx par rapport
aux peuples non-européens, absents (du moins explicitement) du grand mouvement
d'émancipation prôné par le Manifeste du
parti communiste mais progressivement analysés et étudiés dans des textes
ultérieurs, jusqu'à devenir une de ses préoccupations politiques et théoriques
majeures à la fin de son existence.
Dans le troisième chapitre « Capitalisme et
émancipation humaine », traduit par Paul Guillibert, Ellen Meiksins Wood
s’attache à relier histoire du capitalisme d’un côté, racisme, sexisme et
toutes les formes de pouvoir extra-économique de l’autre, en en soulignant la
dialectique complexe. Elle examine de la même manière la démocratie, en la
replaçant dans l’histoire de longue durée des modes de production antérieurs au
capitalisme et de leurs formes politiques.
Dans le quatrième chapitre, « Hétérodoxie et
critique de l’économie politique », Guillaume Fondu s’intéresse à
l’économie politique hétérodoxe contemporaine et en souligne les limites, en
s’arrêtant sur plusieurs travaux récents, notamment ceux de Frédéric Lordon et
André Orléan, ainsi que ceux de Bruno Amable, Elvire Guillaud et Stefano
Palombarini. En soulignant que ces approches ne rompent que partiellement avec
les théories économiques dominantes, l’auteur montre que Marx développe pour sa
part une réflexion sur les formes sociales, qui rend possible et pensable
l’émancipation comme rupture résolue avec le capitalisme.
Enfin, dans le cinquième chapitre,
« L’actualité de la théorie de la valeur de Marx. A propos de Moishe
Postone, Temps, travail et domination
sociale », Antoine Artous revient sur la question controversée de la
théorie marxienne de la valeur, en discutant le livre majeur de Moishe Postone.
Il souligne à cette occasion l’actualité maintenue des thèses de Marx,
concernant la marchandise et la valeur dans le capitalisme contemporaine. Il
montre aussi à quel point les questions présente du travail et de l’émancipation
des individus ne peuvent être posées sans s’appuyer sur ses analyses.
Cet ouvrage, on l’aura compris, ne prétend à
aucune exhaustivité ni à une quelconque orthodoxie. Il montre que la recherche
contemporaine sur Marx et les marxismes ne peut être considérée seulement comme
un domaine de spécialisation universitaire, et ne relève pas d’un dogme
politique archaïque et déconnecté du réel. Ces premières esquisses et approches
visent, parmi d’autres, à relancer un débat fécond autour de conceptions théoriques
et d’une histoire dont la force propulsive est loin d’être épuisée.
[1] François Cusset, La
décennie - Le grand cauchemar des années 1980, La Découverte, Paris, 2006.
[2] « Mille Marxismes » est une collection des
éditions Syllepse, « Mouvement réel » une collection des éditions La
Ville Brûle et « Actuel Marx Confrontations » une collection des PUF.
[3] Marx-Engels
Gesamtausgabe, édité par la Berlin-Brandenburgische Akademie der
Wissenschaften. Cette édition complète des œuvres de Marx et d’Engels, encore
en cours de publication, comportera plus de 120 volumes.
[4] Frankfurter Allgemeine
Zeitung, 7 octobre 1998, cité par Louis Janover, Marx et les nouveaux phagocytes, Éditions du Sandre, Paris, 2012,
p. 230-231.
[5] Franz Mehring, Geschichte
seines Lebens, Leipzig, Verlag der Leipziger Druckerei, 1918. Une nouvelle
édition de cette biographie, enrichie d'un vaste appareil critique élaboré dans
les années 1980 par Gérard Bloch, est à paraître aux éditions Page Deux à
Lausanne en 2015.
[6] Les anthologies thématiques des œuvres de Marx et
d’Engels composées par Roger Dangeville sont très nombreuses. Elles ont été
notamment publiées par les éditions Maspéro et par les éditions UGE 10/18 au
cours des années 1970.
[7] Une édition intégrale en français des articles du New York Daily Tribune est programmée
par la GEME.
[8] Lettre de Friedrich Engels à Eduard Bernstein du 2
novembre 1882. Marx-Engels Werke, t.
35, Berlin (RDA), 1960, p. 388.
[9] Georges Haupt, « De Marx au marxisme », in L’historien et le mouvement social,
Maspero, Paris, 1980, p. 77-109.
[10] Perry Anderson, Sur le marxisme occidental, Maspero, Paris, 1977.
[11] Marco Di Maggio, Les Intellectuels et la stratégie communiste - Une crise d'hégémonie (1958-1981), Éditions sociales, Paris, 2013.
[12] André Tosel, Le marxisme du 20e siècle, Syllepse, Paris, 2009.
[13] Jacques Bidet et Stathis Kouvélakis
(sous la direction de), Dictionnaire Marx
contemporain, PUF, Paris,
« Actuel Marx Confrontations », 2001.
[14] Michael Scott Christofferson, Les intellectuels contre la gauche -
L’idéologie anti-totalitaire en France (1968-1981), Agone, Marseille, 2009.
[15] Lucien Sève, Penser avec Marx aujourd’hui - I. Marx et nous, La Dispute, Paris,
2004.
[16] Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche - Une cartographie des
nouvelles pensées critiques, Zones-La Découverte, Paris, 2010.
[17] Perry Anderson, In the Tracks of Historical Materialism, Verso, Londres, 1983.
[18] Jan Hoff, Marx global. Zur Entwicklung des Internationalen Marx-Diskurses seit
1965, Akademie Verlag, Berlin, 2009.
[19] Jan Hoff, « Marx in Germany », Socialism and Democracy, 2010, p.
175-180.
[20] Jean-Numa Ducange, Philippe Marlière,
Louis Weber, La gauche radicale en Europe,
Le Croquant, Bellecombes-en-Bauges, 2013.
[21] On ne citera qu’un volume par auteur,
en français lorsque c’est possible : David Harvey, Le nouvel impérialisme, Les prairies ordinaires, Paris,
2010 ; Mike Davis, Le Pire des
mondes possibles : de l'explosion urbaine au bidonville global, La
Découverte, Paris, 2006 ; Giovanni Arrighi, The
Long Twentieth Century : Money, Power, and the Origins of Our Times,
Verso, Londres, 1994 ; Robert Brenner, The
economics of global turbulence : the advanced capitalist economies from
Long Boom to Long Downturn, 1945–2005, Verso, Londres, 2006.
[22] Voir notamment, en français, Alvaro
Garcia Linera, Pour une politique de
l’égalité. Communauté et autonomie dans la Bolivie contemporaine, Paris,
Les Prairies ordinaires, 2008 et Bolivie/Europe.
Regards sur les gauches, Le Croquant, Bellecombes-en-Bauges, 2014.
[23] Voir par exemple Maurice Dobb, Paul M.
Sweezy, Du féodalisme au
capitalisme : problèmes de la transition, Maspero, Paris, 1977.
[24] Pour plus d’informations et le
programme en cours, voir le site du séminaire : http://www.marxau21.fr/.
[25] Le terme de diamat condense l’expression de « matérialisme
dialectique » en russe, expression absente chez Marx. Le terme renvoie
avant tout aux thèses de Staline, qui figent en doctrine les conceptions de
Lénine et qui sont censées constituer les fondements philosophiques du marxisme. Cette doctrine sera pendant longtemps
enseignée et diffusée en URSS et hors d’URSS, perdant progressivement de son
influence à la mort de Staline.
[26] Auguste Cornu, Karl Marx et Friedrich Engels, leur vie et leur œuvre, PUF, Paris,
4 vol., 1955, 1958, 1962 et 1970.
[27] Jacques Bidet et Stathis Kouvélakis,
« Présentation », in :
Dictionnaire Marx Contemporain, op.
cit., p. 9.
[28] « Le pompeux catalogue des
« inaliénables droits de l’homme » sera ainsi remplacé par la modeste
Magna Charta d’une journée de travail
limitée par la loi », Karl Marx, Le
Capital, Livre I, trad. J.-P. Lefebvre, PUF, Paris, 1993, p. 338.
[29] Voir notamment Friedrich Engels, Notes sur la guerre franco-allemande de
1870-1871, Sciences Marxistes, Paris, 2008.
[30] « Les soixante millions de morts
du Goulag » sont « l’application logique du marxisme » écrit
André Glucksmann, (Les maîtres penseurs,
Grasset, Paris, 1977, p. 310).
[31] Chez Marx, « L’action politique
devient une action technique ». Dès lors « la pratique et la
domination des couches bureaucratiques se réclamant du marxisme ont trouvé dans
celui-ci le meilleur «" complément solennel de
justification" », la meilleure couverture idéologique »
(Cornélius Castoriadis, « Le marxisme, bilan provisoire » in : L’institution imaginaire de la
société, Seuil, Paris, 1975, p. 99).
[32] Réduisant le politique au social, on
retrouve « le Marx de toujours, acharné à dévoiler l’illusion de la
démocratie », écrit François Furet (Marx
et la révolution française, Flammarion, Paris, 1986, p. 94-95).
[33] « Le communisme s’est enraciné
dans la vision d’un pur lien social, écartant toute médiation économique ou
politique dans les rapports entre les hommes » (Pierre Rosanvallon, La société des égaux, Seuil, Paris,
2011, p. 174). Il faut noter que cette lecture se trouve maintenue au sein d’un
ouvrage qui marque pourtant une certaine inflexion critique de son auteur à
l’égard du capitalisme contemporain.
[34] Karl Marx, Critique du droit politique hégélien, trad. A. Baraquin, Editions
Sociales, Paris, 1975, p. 70.
[35] Jacques Attali, Karl Marx ou l'esprit du monde, Fayard, Paris, 2005.
[36] Karl Pribram, Les fondements de la pensée économique, Economica, Paris, 1983.
[37]
Ibid., p. 253.
[38]
Ibid., p. 268.
[39] Karl Kautsky, Les trois sources du marxisme : l’œuvre historique de Marx,
Spartacus, 1947.
[40] Lénine, « Les trois sources et
les trois parties constitutives du marxisme », in : Karl Marx et sa doctrine, Editions sociales et Editions
du Progrès, Paris-Moscou, 1971.
[41] André Tosel, Le marxisme du 20e siècle, Syllepse, Paris, 2009, p. 41.
[42] Cette question a été débattue lors du
colloque international, organisé à Paris, les 22 et 23 mars 2013 : La « Gramsci Renaissance »,
Regards croisés France-Italie sur la pensée d’Antonio Gramsci, dont les
actes sont à paraître aux Éditions Sociales en 2015. Ce colloque fut organisé
par la Fondation Gabriel Péri, la Fondazione Istituto Gramsci de Rome et le
Centre d’Histoire des Systèmes de Pensée Moderne, en collaboration avec la
Maison de l’Italie de la Cité universitaire.
[43] En témoigne notamment le succès
rencontré par l'anthologie publiée par Razmig Keucheyan : Antonio
Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de
position, La Fabrique, Paris, 2012.
[44] Kevin B. Anderson, Marx at the Margins - On Nationalism, Ethnicity and Non-Western
Societies, The
University of Chicago Press,
Chicago, 2010. A l’heure où nous écrivons, la traduction française de ce livre
est en préparation aux éditions Syllepse.