Bjarne Melgaard, « The Casual Pleasure of Disappointment »
(Exposition à la galerie Thaddeus Ropac, 7 rue Debelleyme, 75003 Paris, jusqu’au 14 mars 2015)
Plasticien new-yorkais d’origine norvégienne, Bjarne
Melgaard est à moins de 50 ans ce que d’aucuns nomment une « étoile
montante » et d’autres une « valeur à suivre » de l’art contemporain.
Après diverses biennales, il est désormais exposé au MoMA de New York, au MOCA
de Los Angeles, à Amsterdam, Strasbourg et Stockholm, le musée Munch d’Oslo allant
même jusqu’à confronter ses travaux avec l’œuvre du fameux expressionniste.
L’exposition parisienne que lui consacre actuellement la a été signalée comme un « événement » par la « grande presse », Télérama, Le Figaro dans ses diverses versions, etc.
L’exposition parisienne que lui consacre actuellement la a été signalée comme un « événement » par la « grande presse », Télérama, Le Figaro dans ses diverses versions, etc.
La trentaine d’œuvres
disposées sous la haute verrière de la galerie a tout pour provoquer la
surprise – couleurs et matériaux employés, théâtralité de la mise en espace et
de la circulation qu’elle impose, obligeant le visiteur à faire
« attention à la peinture ». Assemblages d’échantillons de produits
de beauté, de vêtements ou de chaussures de « fitness », de têtes de
mannequins de coiffeur, de kilomètres d’« extensions » capillaires
aux teintures spécialement « flashy », voilà pour les « combine paintings » de
vastes dimensions qui couvrent les murs et mentionnent les noms de Rainer Werner
Fassbinder et de Catherine Breillat (« figure
mythique » et « référence
dans la mise en scène des conflits émotionnels » à qui l’artiste a
dédié cet ensemble) et les évoquent parfois dans des scènes à caractère sexuel.
Au sol, des sculptures ou des mobiles mettant en œuvre les mêmes matériaux,
parfois en forme de mannequins monstrueux, des poupées de chiffon, au milieu de
longs parallélépipèdes de cordes tressées dus à un autre artiste, Kwangho Lee.
Car il s’agit d’une
réalisation collective, le plasticien s’étant appuyé, à côté du créateur de
mobilier précité, sur le coiffeur styliste Bob Racine, la créatrice de mode
Susan Cianciolo, la maquilleuse Kanako Takase et le « veteran designer » Andre Walker (dont les noms sont
énumérés sans que leurs interventions respectives soient précisément décrites).
Il s’agit aussi de ce qu’on nomme une « installation », susceptible d’impressionner
dans son ensemble, mais faite d’éléments dont la plupart perdraient beaucoup de
leur force à être considérés isolément. L’ampleur des surfaces occupées, aux
murs comme au sol, suggère aussi à quels lieux et à quels acheteurs ces œuvres
sont destinées, les collectionneurs les plus fortunés et les musées disposant
de salles assez vastes pour les accueillir – autrement dit les grands « décideurs »
de l’art contemporain.
Concernant ces
derniers, Nathalie Heinich, spécialiste réputée de ce domaine, rappelait leur
responsabilité dans l’évolution actuelle de l’art, de sa « visibilité » et de son économie, en commentant dans Libération du 26 décembre 2014 les
controverses et manifestations suscitées par « Exhibit B » du Sud-Africain Brett Bailey et le
« sapin de Noël » du plasticien américain Paul McCarthy, gonflé puis dégonflé
place Vendôme : « Voilà qui
illustre le “paradoxe permissif” propre à l’art contemporain : en
encourageant les propositions transgressives, les institutions poussent les
artistes à la fuite en avant dans la provocation, y compris pornographique ou
scatologique, et toujours plus monumentale. » Dans ce contexte, il est
significatif que B. Melgaard, qui s’était fait connaître en 2000 à New York en
exposant « des sculptures de singes
en train de se livrer à des pratiques sexuelles », se soit défendu de
toute « provocation » en
présentant son exposition dans les colonnes de Télérama du 10 février.
Et d’expliquer
alors : « Je ne suis
certainement pas un rebelle. J’ai reçu une formation académique à l'Académie
nationale d'art à Oslo, puis à l’Académie Jan van Eyck à Maastricht et à la
Rijksakademie à Amsterdam. On dit aussi que je suis provocateur, mais je ne
cherche pas le scandale. Je travaille, toujours à partir d’un dessin, en me
souciant de la composition, de la forme, de la couleur… Et un rebelle ne se
soucierait pas de rendre hommage à Munch, une des figures dominantes dans
l’histoire de l’art. »
Son exposition
parisienne n’avait elle-même d’autre souci qu’esthétique, à en croire le livret
mis à la disposition des visiteurs de la galerie : « Mes nouvelles œuvres interrogent la façon dont l’industrie de la
beauté détermine la manière dont nous percevons l’autre, comment ses produits
nous immergent et nous dominent. L’idée est de renverser et de déconstruire la
connexion ennuyeuse entre art et mode et de traiter les aspects obsessionnels
et autodestructeurs contenus dans la notions de beauté. » Du reste, il
n’en fait pas mystère, il présentera bientôt sa propre ligne de vêtements sous
le titre The Casual Disappointment of
fashion.
On voit ainsi ce qui
peut plaire aux « décideurs » de l’art contemporain dans cette
culture de la « déception
ordinaire » associée à ses « plaisirs
ordinaires ». Avec un caractère « provocateur »
strictement limité, « certainement
pas rebelle », servant seulement à susciter la surprise un bref
instant, l’ensemble s’apparente aux « biens
consomptibles par le premier usage », comme le sont évidemment les déchets
d’échantillons de parfum accumulés sur l’une des « combine paintings » exposées. Et pourtant tout cela,
emballages jetables et le reste, sera conservé, « valorisé » si
possible dans de grandes collections ou sur le marché, puisqu’ainsi va
« l’art » dans cette société-ci.