dimanche 15 février 2015

Un article de Gilles Bounoure : Anselme Boix-Vives, primitif moderne et pacifiste






Exposition à la Galerie Alain Margaron
Anselme Boix-Vives, « primitif moderne » et pacifiste

Gilles Bounoure

La galerie Alain Margaron (3 rue du Perche, 75003 Paris) s’attache depuis plus de vingt ans à faire valoir l’œuvre de Boix-Vives, environ 2 400 peintures et dessins créés entre 1962 et sa mort à 70 ans, en 1969. André Breton l’avait appréciée au point de lui consacrer une couverture de la revue La Brèche, Dubuffet l’avait ignorée par crainte de voir un artiste vivant rejeter ses thèses et sa mainmise sur « l’art brut », rebuffade que lui avait déjà infligée Gaston Chaissac. Voilà qui explique en large part que l’œuvre de Boix-Vives ait été longtemps négligée, à l’instar de celle de Chaissac.




En 2009, deux expositions coordonnées, l’une à la Halle Saint-Pierre et l’autre à la galerie Alain Margaron, présentant 150 esquisses, gouaches et huiles, avaient contribué à sortir de l’ombre ce peintre pleinement autodidacte mais aucunement marginal ni « suicidé de la société ». La sélection aujourd’hui présentée par cette galerie, sous le titre « L’École de la nature » (jusqu’au 28 mars), est moins ample, mais elle permet sans doute de cerner plus précisément les thèmes de prédilection de Boix-Vives. Le plus général d’entre eux, enjoliver et pacifier le monde, pourrait être qualifié d’utopie concrète moderne.

Le parcours de Boix-Vives n’y est pas pour rien. Né en 1899 dans une famille très pauvre de paysans catalans, il quitte l’Espagne à 18 ans pour fuir le service militaire. Rejoignant des parents établis en Savoie, il y est successivement ouvrier, mineur, marchand ambulant, puis il ouvre à Moûtiers une épicerie dont il fera un commerce prospère. En 1926, le spectacle des éclopés de la guerre du Rif lui fait se jurer de s’opposer à toutes les guerres et de promouvoir une paix universelle fondée sur le travail de tous. Trente ans plus tard, il publiera une série de manifestes pacifistes (et altermondialistes avant l’heure) envoyés aux Nations unies, au pape, à la reine d’Angleterre…

Retraité, il se met à dessiner et à peindre, étalant feuilles de papier ou de carton sur la table de sa cuisine, créant au moins une œuvre par jour – sauf le dimanche, en bon catholique qu’il était resté. Considérer ses peintures comme un prolongement de ses écrits serait exagéré ; il n’y voyait sans doute qu’un loisir, à la différence de Joseph Crépin (1875-1948), autre grand irrégulier de l’art, persuadé que peindre lui permettrait de mettre fin comme par magie à la Deuxième Guerre mondiale. Reste qu’on chercherait en vain dans l’œuvre de Boix-Vives la moindre célébration de la guerre ou de la violence, ses figurations animalières ne comptent ni fauves ni charognards, et même ses « toréadors » sont désarmés.

La dénomination de « primitifs modernes » choisie par Wilhelm Uhde pour le douanier Rousseau, Vivin, Bombois, Bauchant, et bien sûr Séraphine Louis qu’il exposa sous ce titre en 1932, ne semble pas moins valable pour Boix-Vives. À côté de probables influences de l’art baroque savoyard et des fresques romanes catalanes, son œuvre et sa vie témoignent du désir d’être pleinement de son temps, conseillant d’un côté à l’un de ses enfants de s’engager dans l’industrie alors naissante des sports d’hiver, accompagnant d’un autre la conquête spatiale par ses peintures de « Marseins » et de « femmes lunaires ». Interrogé par une télévision sur sa récente acquisition d’une… télévision, il expliquait : « Il me fallait des modèles. Alors j’ai acheté la télévision : comme ça, ici, j’ai le monde à peindre. »