Exposition à la Galerie Alain Margaron
Anselme Boix-Vives, « primitif moderne » et
pacifiste
Gilles Bounoure
Gilles Bounoure
La galerie Alain Margaron (3 rue du Perche, 75003 Paris) s’attache
depuis plus de vingt ans à faire valoir l’œuvre de Boix-Vives, environ 2 400
peintures et dessins créés entre 1962 et sa mort à 70 ans, en 1969. André
Breton l’avait appréciée au point de lui consacrer une couverture de la revue La Brèche, Dubuffet l’avait ignorée par
crainte de voir un artiste vivant rejeter ses thèses et sa mainmise sur
« l’art brut », rebuffade que lui avait déjà infligée Gaston
Chaissac. Voilà qui explique en large part que l’œuvre de Boix-Vives ait été
longtemps négligée, à l’instar de celle de Chaissac.
En 2009, deux expositions coordonnées, l’une à la Halle
Saint-Pierre et l’autre à la galerie Alain Margaron, présentant 150 esquisses,
gouaches et huiles, avaient contribué à sortir de l’ombre ce peintre pleinement
autodidacte mais aucunement marginal ni « suicidé
de la société ». La sélection aujourd’hui présentée par cette galerie,
sous le titre « L’École de la nature » (jusqu’au 28 mars), est moins ample,
mais elle permet sans doute de cerner plus précisément les thèmes de
prédilection de Boix-Vives. Le plus général d’entre eux, enjoliver et pacifier le
monde, pourrait être qualifié d’utopie concrète moderne.
Le parcours de Boix-Vives n’y est pas pour rien. Né en 1899
dans une famille très pauvre de paysans catalans, il quitte l’Espagne à 18 ans
pour fuir le service militaire. Rejoignant des parents établis en Savoie, il y
est successivement ouvrier, mineur, marchand ambulant, puis il ouvre à Moûtiers
une épicerie dont il fera un commerce prospère. En 1926, le spectacle des
éclopés de la guerre du Rif lui fait se jurer de s’opposer à toutes les guerres
et de promouvoir une paix universelle fondée sur le travail de tous. Trente ans
plus tard, il publiera une série de manifestes pacifistes (et altermondialistes
avant l’heure) envoyés aux Nations unies, au pape, à la reine d’Angleterre…
Retraité, il se met à dessiner et à peindre, étalant
feuilles de papier ou de carton sur la table de sa cuisine, créant au moins une
œuvre par jour – sauf le dimanche, en bon catholique qu’il était resté.
Considérer ses peintures comme un prolongement de ses écrits serait exagéré ;
il n’y voyait sans doute qu’un loisir, à la différence de Joseph Crépin
(1875-1948), autre grand irrégulier de l’art, persuadé que peindre lui
permettrait de mettre fin comme par magie à la Deuxième Guerre mondiale. Reste
qu’on chercherait en vain dans l’œuvre de Boix-Vives la moindre célébration de
la guerre ou de la violence, ses figurations animalières ne comptent ni fauves
ni charognards, et même ses « toréadors »
sont désarmés.
La dénomination de « primitifs
modernes » choisie par Wilhelm Uhde pour le douanier Rousseau, Vivin,
Bombois, Bauchant, et bien sûr Séraphine Louis qu’il exposa sous ce titre en
1932, ne semble pas moins valable pour Boix-Vives. À côté de probables
influences de l’art baroque savoyard et des fresques romanes catalanes, son
œuvre et sa vie témoignent du désir d’être pleinement de son temps, conseillant
d’un côté à l’un de ses enfants de s’engager dans l’industrie alors naissante
des sports d’hiver, accompagnant d’un autre la conquête spatiale par ses
peintures de « Marseins »
et de « femmes lunaires ».
Interrogé par une télévision sur sa récente acquisition d’une… télévision, il
expliquait : « Il me fallait
des modèles. Alors j’ai acheté la télévision : comme ça, ici, j’ai le
monde à peindre. »