Le sourire de Syriza
Francis Sitel
Jean-Claude
Juncker, président de la Commission européenne, a fait savoir qu'il « n’aimerait pas que des forces
extrêmes arrivent au pouvoir » à Athènes. Il « préfère avoir des visages familiers ».
D'aucuns
ont taxé de maladresse ce propos, qui somme toute a le mérite de la franchise.
On peut comprendre qu'Alexis Tsipras, pour Syriza, ou encore Pablo Iglesias,
pour Podemos, ce sont des têtes qui ne reviennent pas au fondé de pouvoir des
classes dirigeantes européennes. Celles-ci fort entêtées des politiques
d'austérité qui infligent une sévère saignée aux populations européennes, en
particulier les peuples de Grèce et de l’État espagnol.
Or,
la crise parlementaire grecque impose des élections législatives pour le début
2015 dont les sondages annoncent qu'elles devraient permettre la victoire de
Syriza et donc son arrivée au gouvernement. Ce serait un changement d'ampleur
majeure et de portée européenne.
Il
signifierait un saut qualitatif dans la montée des gauches radicales dans plusieurs
pays : Grèce bien sûr, mais aussi Espagne, où Podemos bénéficie également
de la promesse d'une victoire électorale lors de prochaines élections, et
au-delà, même sans élections en vue, au Portugal, à Chypre, en Irlande...
Face
à la crise que connaît depuis 2008 le capitalisme, partout en Europe, droites
conservatrices et gauches social-démocrates font chorus, voire alliance
gouvernementale officielle, pour mettre en œuvre des mesures drastiques de
régressions sociales et démocratiques, que payent les salariés, les jeunes et
le peuple, et dont patronat et privilégiés empochent les bénéfices.
Cette
dégradation de la situation et le discrédit en résultant pour l'Union
européenne et les partis de gouvernement ne semblaient jusqu'alors que profiter
aux extrêmes droites nationalistes et racistes.
Le
cas de la France est l’illustration de cette inquiétante évolution. Alors que
le Front national progresse, au point que certains en viennent, parfois non
sans arrières pensées, à pronostiquer sa possible accession au pouvoir, le
Parti socialiste s'effondre électoralement sans que les forces de gauche qui
s’opposent à sa politique et contestent sa légitimité à prétendre représenter
la gauche ne parviennent à affirmer une alternative crédible aux yeux des
classes populaires. Le dossier de ce numéro est consacré aux réflexions que
suscite cet « état de crise » de la gauche française.
L’hypothèse
d'une accession au gouvernement de Syriza, donc d'une force de gauche,
radicale, populaire, qui s'est construite sur le refus des politiques
d'austérité imposées au peuple grec, vaut bouleversement de ce sombre tableau.
Elle indique que le rejet des politiques capitalistes peut cristalliser à
gauche, et de ce fait permettre, bien au-delà de la Grèce, la renaissance d’une
gauche de gauche, d’une gauche de classe... Les classes dirigeantes européennes
ont fait de la Grèce le laboratoire de leurs politiques austéritaires. Que
Syriza fasse de la Grèce le laboratoire d'une renaissance des forces de progrès
social et démocratique, voilà qui signifierait une belle revanche de
l'histoire !
Un
tel espoir donne grise mine à tous ceux qui font métier de défendre le prétendu
ordre existant. Et les rend d’autant plus prolixes en discours visant à
discréditer les gauches radicales, les accusant d’être
« populistes », c'est-à-dire similaires à celles d'extrême droite.
Ils ne se lassent pas de répéter qu'elles vont conduire à la destruction de la
construction européenne, tout en pronostiquant leur inéluctable échec, du fait
de leur manque de sérieux économique.
La
question est moins celle de la compétence économique que de la capacité à
déjouer les pièges tendus de l'intégration aux mécanismes institutionnels
nationaux et européens, des alliances mortifères, pour favoriser des
mobilisations populaires seules à même
de permettre les ruptures nécessaires.
Si, par malheur, les gauches radicales échouaient, non seulement les politiques réactionnaires s’appliqueraient avec encore davantage de dureté, mais il faudrait craindre que les réactions populaires qui s'ensuivraient n'exacerbent les poussées nationalistes et racistes – lesquelles fermentent déjà un peu partout et représentent une effective menace pour l'avenir de l'Europe.
Si, par malheur, les gauches radicales échouaient, non seulement les politiques réactionnaires s’appliqueraient avec encore davantage de dureté, mais il faudrait craindre que les réactions populaires qui s'ensuivraient n'exacerbent les poussées nationalistes et racistes – lesquelles fermentent déjà un peu partout et représentent une effective menace pour l'avenir de l'Europe.
C'est
toute la gauche européenne qui, aux côtés de Syriza, va se trouver confrontée,
si celle-ci gouverne, à un formidable défi : surmonter sa crise pour se
hisser à la hauteur des responsabilités qui sont les siennes dès lors qu’elle
s’assume comme étant de gauche.