Sur Claude Calame, Prométhée généticien, Encre marine, 2010
Francis Sitel
C’est un
livre discret, de 200 pages petit format, qui peut s’égarer facilement parmi
des volumes autrement imposants. Et ce serait fort dommageable. Car il n’est
pas si habituel qu’on sache nous parler à la fois des tragédies d’Eschyle et de
la génétique à l’heure du néolibéralisme.
Claude
Calame est un éminent helléniste, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste
d’anthropologie historique et d’analyse du discours. Rien d’étonnant donc à ce
qu’il sache nous parler avec talent de littérature grecque et de philosophie
platonicienne. Mais quel rapport avec la génétique ? Notre érudit ne
céderait-il pas à une certaine hybris en s’engageant sur le terrain
contemporain des sciences de la vie, de la technoscience et des manipulations
génétiques ?
Non, s’il y
a hybris – cet excès qui invite certains à aller au-delà des limites
qu’assigne la raison (ou qu’imposent les dieux) – c’est dans l’entreprise
susceptible de conduire l’Homme à modifier la nature de l’être humain.
Et nous voici intéressés par les alarmes que nous délivre le linguiste : patrimoine
génétique, codes ADN, livres et bibliothèques biologiques... Ce sont là non des
concepts, mais des métaphores, qui peuvent masquer l’interpellation :
« L’homme est-il en droit de tenter de manipuler la part d’aléatoire
dans le fonctionnement et le développement de sa propre constitution génétique,
de son propre génome ? » D’autant, ajoute Claude Calame, que tout
cela se fait sous le règne de « l’utilitarisme financier »,
selon la règle du profit, avec brevetage à la clé. Cet ouvrage
d’apparence si modeste nous entraîne sur des chemins vertigineux. Mais il donne
aussi des assurances, ainsi le principe que les sciences du vivant sont des
sciences de l’homme.
Les Grecs
antiques, à ceux qui savent les écouter, encore aujourd’hui et sur ces sujets
on ne peut plus modernes, parlent avec sagesse. Ils nous rappellent
l’incomplétude de l’homme, lequel ne doit pas oublier qu’il est mortel. L’homme
à qui Prométhée a donné, à charge pour lui de les déchiffrer, des tekhnai,
des techniques civilisationnelles. Un don qui lui valut de fâcher Zeus et d’en
subir le châtiment. Mais la réconciliation restait possible. À condition de ne
pas choisir Frankenstein contre Prométhée.